Cognition incarnée & Science

« La pensée ne se situe pas uniquement dans le cerveau, mais dans l’interaction dynamique entre le corps, l’environnement et l’esprit. »
Varela F., Thompson E., Rosch E., The Embodied Mind, MIT Press, 1991, chap. 8 - p. 173.

Antonio Damasio montre que les émotions, la prise de décision et la conscience émergent de l’intégration constante des signaux corporels et neuronaux :

« Le sentiment d’être soi, la conscience, est la perception par le cerveau des états du corps. »
(L’erreur de Descartes, 1994)

Le corps et l’esprit représentent deux facettes d’un même processus vivant.

Corps et esprit : une dualité dépassée

La tradition philosophique occidentale, notamment avec Descartes, a longtemps opposé le corps (la matière) et l’esprit (la pensée). Mais depuis plusieurs décennies, les neurosciences, la phénoménologie et la biologie systémique montrent que cette séparation est artificielle et réductrice.

La théorie de la cognition incarnée (embodied cognition) pose que l’esprit n’est pas un logiciel logé dans un cerveau-machine, mais une dynamique émergente de l’interaction entre le cerveau, le corps et l’environnement.
Autrement dit, ce que nous appelons “corps” et “esprit” sont deux aspects d’un même phénomène : la vie consciente et incarnée.

L’intrication corps-esprit

Les recherches sur la plasticité cérébrale, la mémoire corporelle, l’impact du stress ou de la méditation sur la santé montrent que chaque expérience mentale laisse une trace dans le corps, et que chaque état corporel influence l’esprit.

On peut donc dire que :

  • Corps et esprit sont deux facettes d’un même objet : l’être vivant incarné.

  • Ils sont indissociables, constamment en dialogue, et chaque pratique qui agit sur l’un transforme l’autre.

Certains chercheurs préfèrent parler d’un processus corps-esprit plutôt que de deux entités distinctes. Le corps et l’esprit sont alors vus comme des manifestations complémentaires d’un même flux d’expérience, d’auto-organisation et d’adaptation.

Tang Y.Y., Hölzel B.K., Posner M.I., “The neuroscience of mindfulness

&

van der Kolk B., Le corps n’oublie rien, 2014.

"Cognition incarnée", "Méditation incarnée" et "Pratique sophrologique" sont des synonymes.

Avant-propos

Les pratiques méditatives et la sophrologie s’appuient désormais sur des bases scientifiques robustes. Les avancées en neurosciences, biologie systémique et psychologie positive légitiment leur rôle dans l’autorégulation, la résilience et la transformation du corps et de l’esprit.

1. Cognition incarnée : penser, c’est ressentir

La cognition incarnée affirme que la pensée n’est pas confinée au cerveau, mais émerge de l’interaction dynamique entre le corps, l’environnement et l’esprit .

Des études montrent que la posture, la respiration et les sensations corporelles influencent directement la perception, la mémoire et la régulation émotionnelle.

Le corps joue un rôle actif dans la cognition. Nos sensations, notre posture, notre respiration influencent directement la façon dont nous percevons, comprenons et réagissons au monde. Par exemple, se tenir droit améliore l’attention, alors qu’un corps contracté peut induire un état mental plus fermé ou anxieux.

L’environnement module également notre état mental : une pièce bruyante perturbe la concentration, tandis qu’un cadre naturel favorise la clarté mentale et la créativité.

L’esprit, loin d’être isolé, est un processus relationnel. Méditer ne consiste pas à « arrêter » la pensée, mais à guider l’esprit vers une qualité d’expérience plus consciente et incarnée.

En sophrologie et en méditation, mobiliser le ressenti corporel, choisir un environnement favorable et orienter volontairement l’attention permet d’agir directement sur notre santé mentale, émotionnelle et physique.

Cognition incarnée, méditation et régénération :

une nouvelle voie vers la santé globale

La conscience intéroceptive (perception des états internes du corps) module l’attention et la capacité d’adaptation mentale.

Damasio A., L’erreur de Descartes, Odile Jacob, 1994, chap. 5.

 &

Critchley H.D., Harrison N.A., “Visceral Influences on Brain and Behavior”, Neuron, 2013, 77(4):624-638.

Craig A.D., “How do you feel? Interoception: the sense of the physiological condition of the body”, Nature Reviews Neuroscience, 2002, 3(8):655-666.

La méditation et la sophrologie, en mobilisant le ressenti corporel et l’attention, influencent donc la santé mentale et physique.

2. Thermodynamique du vivant : efficacité énergétique et santé

La thermodynamique de l’évolution, inspirée des travaux d’Ilya Prigogine (prix Nobel pour ses travaux sur les structures dissipatives), explique que les organismes vivants évoluent vers une efficacité dans la dissipation d’énergie. Les organismes les plus complexes, comme l’humain, canalisent et transforment l’énergie de manière évolutive, favorisant leur maintien et leur adaptation

Les pratiques méditatives favorisent cette efficacité : elles permettent une meilleure distribution de l’énergie (nerveuse, circulatoire, musculaire), réduisent les pertes dues au stress et facilitent un état d’harmonie globale favorable à la réparation.

Prigogine I., La nouvelle alliance, Gallimard, 1979, chap. 4.

Tang Y.Y., Hölzel B.K., Posner M.I., “The neuroscience of mindfulness meditation”, Nature Reviews Neuroscience, 2015, 16(4):213-225.

3. L’autopoïèse : la vie comme boucle de maintien de soi

Un concept fondamental, l’autopoïèse, décrit le vivant comme un système auto-organisé capable de se maintenir et de se régénérer en interaction avec son environnement.

« Le vivant est un système qui s’auto-entretient dans un dialogue constant entre le corps, l’esprit et le monde. »


Maturana H., Varela F., L’arbre de la connaissance, Addison-Wesley, 1987, chap. 5.

Ce modèle circulaire et dynamique explique comment un organisme réagit à une blessure, une maladie ou un stress en mobilisant ses propres ressources.

La méditation et la sophrologie stimulent consciemment cette capacité auto-régénérative. En se reconnectant à ses processus internes (par la respiration, la visualisation, le relâchement), le sujet favorise une mobilisation adaptative de ses boucles corporelles de réparation et d’équilibre physiologique.

Dans les sciences de la cognition incarnée, Varela utilise la notion de boucle pour désigner les processus par lesquels un être vivant se perçoit, se régule et agit sur lui-même.

Boucle de maintien de soi :
Processus de régulation vitale (respiration, digestion, adaptation au froid…) par lesquels le corps maintient son équilibre.

Boucle de réparation :
Mécanisme activé face à une blessure ou un stress. Le corps mobilise ses ressources (immunité, hormones, neuroplasticité) pour restaurer son intégrité.

Dans la méditation ou la sophrologie, on peut consciemment stimuler ces boucles en orientant l’attention vers une zone du corps ou un besoin spécifique. Cela favorise l’émergence des capacités naturelles d’équilibre et de guérison.

Penser et guérir ne sont pas séparés. Le mental, s’il est incarné et bien dirigé, devient un allié du corps.

Davidson R.J., Goleman D.J., “The role of attention in meditation and hypnosis: A psychobiological perspective on transformations of consciousness”, International Journal of Clinical and Experimental Hypnosis, 1977, 25(4):291-308.

4. Énaction - Homéostasie psychique

Varela F., Thompson E., Rosch E., The Embodied Mind, MIT Press, 1991, chap. 8.

L’énaction désigne la co-création active de la perception entre le corps et l’environnement.

La perception du monde et du corps émerge de l’interaction active entre esprit, gestes, attention et environnement. Méditer, respirer en pleine conscience ou visualiser un organe en régénération participent à la co-création du vécu corporel.

L’homéostasie psychique est la tendance naturelle à retrouver l’équilibre après un stress, facilité par la méditation.

L’esprit cherche naturellement à revenir à l’équilibre après un stress ou un trauma. Méditation et sophrologie facilitent cette autorégulation, offrant au système nerveux les conditions de relâchement nécessaires à une meilleure régénération.

Thayer J.F., Lane R.D., “A model of neurovisceral integration in emotion regulation and dysregulation”, Journal of Affective Disorders, 2000, 61(3):201-216.

Christophe André a montré que la méditation de pleine conscience, associée à la psychologie positive, réduit significativement les rechutes dépressives et favorise la régulation émotionnelle.

« La méditation n’est pas une fuite, mais un ancrage dans le réel. »

  • Kuyken W., et al., “Efficacy of Mindfulness-Based Cognitive Therapy in Prevention of Depressive Relapse: An Individual Patient Data Meta-analysis”, JAMA Psychiatry, 2016, 73(6):565-574.

  • André C., Méditer, jour après jour, L’Iconoclaste, 2011, chap. 2.

5. Visualisation et dialogue corporel : vers une auto-coordination consciente

Visualiser un organe, une glande ou une inflammation, et y projeter une intention, active des circuits neuronaux, vasculaires et hormonaux. Les neurosciences confirment que l’imagerie mentale sollicite les mêmes régions que l’action réelle.

Penser « je détends ce muscle » ou « je t’envoie ce dont tu as besoin » devient une co-création sensitive entre la volonté et l’intelligence organique. Cette approche renforce la cohérence entre systèmes nerveux, endocriniens et immunitaires.

La méditation somato-guidée s’appuie sur l’attention, la respiration et la visualisation pour dialoguer avec les systèmes internes du corps. Son efficacité est accrue par une connaissance minimale de l’anatomie, permettant d’adresser consciemment des messages de soutien à des zones précises.

  • Hypothalamus et hypophyse forment le centre de commandement du système endocrinien, coordonnant la plupart des autres glandes.

  • Thyroïde et parathyroïdes régulent le métabolisme et le calcium.

  • Surrénales et pancréas sont essentiels pour la gestion du stress et de la glycémie. (produisent le cortisol, hormone du stress)

  • Glandes sexuelles (ovaires, testicules) orchestrent la reproduction et la sexualité.

  • Glande pinéale synchronise le sommeil via la mélatonine.

  • Thymus (chez l’enfant) façonne l’immunité.

  • Intestins : L'axe microbiote-cerveau participe à la régulation de l’humeur et de l’immunité.

La visualisation mentale active les mêmes circuits neuronaux que l’action réelle.

  • Lutz A., Slagter H.A., Dunne J.D., Davidson R.J., “Attention regulation and monitoring in meditation”, Trends in Cognitive Sciences, 2008, 12(4):163-169.

  • Arendt J., “Melatonin and the pineal gland: Influence on mammalian seasonal and circadian physiology”, Reviews of Reproduction, 1998, 3(1):13-22.

  • Cryan J.F., Dinan T.G., “Mind-altering microorganisms: the impact of the gut microbiota on brain and behaviour”, Nature Reviews Neuroscience, 2012, 13(10):701-712.

Decety J., Grezes J., “The power of simulation: Imagining one’s own and other’s behavior”, Brain Research, 2006, 1079(1):4-14.

La méditation somato-guidée, qui combine attention, respiration et visualisation, permet de dialoguer avec les systèmes internes du corps et d’influencer la régulation hormonale, immunitaire et émotionnelle.

Des témoignages de transformation par la visualisation et la méditation abondent. Les cas suivants illustrent le potentiel de l’esprit sur le corps. Ils sont inspirants, mais doivent être distingués des preuves scientifiques :

  • Joe Dispenza : récupération post-accident par visualisation intensive .

  • Axel Allétru : retour à la marche après paralysie via l’entraînement mental .

  • Wim Hof : contrôle du système immunitaire validé par l’étude Kox et al. (2014).

  • Jon Kabat-Zinn : réduction du stress et des marqueurs inflammatoires par la MBSR.

  • Christophe André : intégration hospitalière de la méditation pour les troubles anxieux.

  • Boris Cyrulnik : résilience et réparation par la narration corporelle .

  • Laird Hamilton : gestion du stress extrême par la respiration .

  • David Goggins : auto-transformation mentale radicale .

  • James Nestor : influence de la respiration sur la physiologie.

Les travaux de Jon Kabat-Zinn et Christophe André, pionniers de la méditation thérapeutique, montrent que la pleine conscience modifie l’état neurophysiologique, favorise la régulation émotionnelle et participe à la résilience

  1. Dispenza Joe., Devenir super-conscient, Guy Trédaniel, 2019, témoignage.

  2. Allétru Axel., Le Mental au cœur de la performance, Amphora, 2020, témoignage.

  3. Wim Hof : Kox M., et al., “Voluntary activation of the sympathetic nervous system and attenuation of the innate immuGoyal M., et al., “Meditation Programs for Psychological Stress and Well-being: A Systematic Review and Meta-analysis”, JAMA Internal Medicine, 2014, 174(3):357-368.ne response in humans”, PNAS, 2014, 111(20):7379-7384.

  4. Jon Kabat-Zinn : Goyal M., et al., “Meditation Programs for Psychological Stress and Well-being: A Systematic Review and Meta-analysis”, JAMA Internal Medicine, 2014, 174(3):357-368.

  5. Cyrulnik Boris., Un merveilleux malheur, Odile Jacob, 1999, chap. 3.

  6. Hamilton Laird, Force of Nature, Rodale, 2017, témoignage.

  7. Goggins D., Can’t Hurt Me, Lioncrest Publishing, 2018, témoignage.

  8. Nestor J., Breath: The New Science of a Lost Art, Riverhead Books, 2020, chap. 6.

6. Illustrations concrètes

L’esprit qui transforme le corps

7. Une voie d’avenir : la santé incarnée

Cette approche propose une médecine de l’écoute, de la conscience et de l’auto-régulation. Elle ne remplace pas les soins classiques, mais les renforce, en permettant au patient de devenir partenaire actif de sa transformation. Elle invite à une nouvelle hygiène mentale et corporelle, où l’attention devient soin, et où la volonté s’allie à l’intelligence organique.

Conclusion

En unifiant biologie systémique, neurosciences et pratiques méditatives, il apparaît que le corps n’est pas une machine, mais un être vivant, adaptatif, sensible aux messages que nous lui adressons. La méditation incarnée devient une porte d’accès à notre potentiel de régénération et de guérison. Elle offre à chacun la possibilité de cultiver une présence active, en dialogue avec soi, dans une dynamique d’évolution vivante.

Pour aller plus loin (suggestion de bibliographie)

  • Francisco Varela, Evan Thompson, Eleanor Rosch, The Embodied Mind

  • Humberto Maturana & Francisco Varela, L’arbre de la connaissance

  • Antonio Damasio, L’erreur de Descartes

  • Jon Kabat-Zinn, Full Catastrophe Living

  • Ilya Prigogine, La nouvelle alliance