Sophrologie : une pratique en plein essor face aux limites de la validation scientifique
La sophrologie s’installe progressivement dans les hôpitaux, les centres antidouleur et même en oncologie. Néanmoins, du point de vue scientifique, son efficacité reste discutée faute de preuves robustes. Le rapport Inserm de 2020, intitulé « Évaluation de l’efficacité et de la sécurité de la sophrologie », souligne notamment : « les preuves scientifiques sont aujourd’hui insuffisantes ; le manque d’essais cliniques randomisés et contrôlés empêche de valider la sophrologie selon les standards méthodologiques de la médecine moderne ».
Des résultats encourageants sur le terrain
Sur le terrain, de nombreux témoignages et quelques études pilotes alimentent l’espoir. Une étude menée en post-réanimation à l’hôpital Simone-Veil (Val-d’Oise) durant la crise Covid-19 (Sofr’expert) a par exemple mis en avant une baisse de la tension artérielle, un ralentissement du rythme cardiaque et une amélioration de la saturation en oxygène après séances de sophrologie, suggérant l’activation de ressources utiles en convalescence. D’autres expérimentations ciblent l’anxiété, la fibromyalgie, la préparation à certains gestes médicaux ou le sevrage tabagique, mais la plupart manquent encore d’un encadrement scientifique robuste.
L’expérience intérieure : un défi méthodologique… surmontable !
Beaucoup avancent que la médecine a du mal à évaluer tout ce qui relève de l’« expérience intérieure », là où émotions, corps et conscience s’entrelacent. Mais ce défi est loin d’être insurmontable : la méditation de pleine conscience, longtemps jugée insaisissable, est désormais intégrée dans de nombreux protocoles médicaux, notamment pour la gestion du stress, la prévention des rechutes dépressives ou la douleur chronique.
Cette percée scientifique a été rendue possible par la mobilisation de grandes institutions médicales… mais aussi grâce à l’investissement, sur plusieurs décennies, de communautés structurées : le mouvement mindfulness international et la tradition bouddhiste ont activement collaboré avec les chercheurs pour adapter, codifier (MBSR, MBCT) et étudier la pratique en profondeur. Ainsi, « plus de 200 hôpitaux américains proposent aujourd’hui des programmes de pleine conscience » et de multiples méta-analyses ont permis d’établir ses effets bénéfiques sur certains troubles.
Les mécanismes d'action
Grâce à la multiplication d’essais cliniques et à l’appui des neurosciences, la pleine conscience est aujourd’hui intégrée dans des protocoles validés pour la gestion du stress, la dépression ou la douleur chronique. Pour autant, ses mécanismes d’action restent encore partiellement incompris. On observe des modifications cérébrales et physiologiques, mais sans modèle unifié expliquant exactement “comment ça marche”.
Ce constat est éclairant : il n’est pas indispensable de comprendre parfaitement les mécanismes pour démontrer qu’une thérapie fonctionne. Les preuves cliniques (via essais randomisés) suffisent à attester d’une efficacité. L’explication vient souvent ensuite… et reste parfois incomplète.
Un contexte historique différent pour la sophrologie
La sophrologie, née dans les années 1960, n’a pas bénéficié du même héritage organisationnel ni du même engagement international : pas de mouvement structuré équivalent au bouddhisme, peu de normes ou de protocoles standardisés, et une communauté de praticiens longtemps fragmentée.
Résultat : la recherche scientifique sur la sophrologie démarre plus tardivement, la diversité des courants et des approches rendant difficile le déploiement d’études massives et comparables.
Vers un tournant : l’exemple de l’étude Alzheimer (2022-2025)
La sophrologie se trouve donc à un carrefour :
d’un côté, un intérêt croissant et des résultats encourageants sur le terrain ;
de l’autre, un manque d’études rigoureuses et une difficulté méthodologique à évaluer ce type de pratique.
Aujourd’hui, la donne change : la « grande étude scientifique » 2022-2025 menée auprès des aidants de personnes atteintes d’Alzheimer, portée par l’A-MCA et la Chambre syndicale de la Sophrologie, suit le modèle scientifique éprouvé des essais cliniques méthodologiquement exigeants.
Ce travail – à la méthodologie détaillée, impliquant supervision, modélisation des séances, critères objectifs et analyses quantitatives – pourrait bien constituer le socle d’une nouvelle posture : celle d’un dialogue structuré entre sophrologie et recherche, semblable à l’élan qui a permis à la pleine conscience de s’imposer comme objet médical légitime. Si les résultats sont concluants, ils ouvriront la voie à de nouvelles investigations sur d’autres publics et d’autres pathologies : la structuration, la standardisation et la collaboration scientifique deviennent ainsi des clés du devenir de la discipline
Ouverture et perspectives
La science peut, et sait désormais, sonder l’expérience intérieure : l’histoire de la pleine conscience le démontre. Ce qui manque à la sophrologie, c’est moins la « mesurabilité » que la structuration des démarches collectives et la multiplication d’études de qualité répondant aux standards du champ médical.
Dans cette dynamique, la sophrologie pourrait pleinement profiter de l’ouverture des esprits initiée ces dernières décennies et rattraper l’avance prise par d’autres pratiques. Son avenir se jouera dans sa capacité à s’organiser, à innover dans l’évaluation scientifique, et à s’insérer dans la grande conversation internationale autour du soin intégratif.
La richesse de la sophrologie – l’exploration de nos ressources intérieures – reste incontestée ; il lui appartient à présent de transformer cette promesse en certitude scientifique.
La Sophrologie
et la Science


Alfonso Caycedo a pu envisager d’inscrire la sophrologie dans un cadre scientifique à partir de plusieurs perspectives, malgré l'absence des technologies modernes de neurosciences à son époque (début des années 1960) :
Formation et contexte psychiatrique et neurologique
Caycedo était neuropsychiatre, formé en psychiatrie et neurologie, avec une thèse sur l’électroencéphalogramme (EEG) en 1959. Il combinait déjà une approche médicale rigoureuse avec un intérêt pour la conscience et les états modifiés de conscience.Approche phénoménologique
Plutôt que les méthodes purement biologiques ou expérimentales en vogue, il s’est appuyé sur la phénoménologie, courant philosophique centré sur « l’étude de ce qui apparaît », c’est-à-dire l’expérience vécue et la conscience. Cette méthode exploratoire, inductive et descriptive, permettait de structurer l’étude de la conscience sans nécessiter de dispositifs techniques sophistiqués.Intégration des techniques existantes validées
Il a rassemblé et adapté des techniques reconnues, comme l’hypnose (mais en cherchant à s’en démarquer), la relaxation progressive de Jacobson, le training autogène de Schultz, et des influences des méthodes orientales (exercices de respiration, méditation bouddhiste). Cette synthèse s’appuyait sur des pratiques connues pour leurs effets observés, même si les mécanismes précis n’étaient pas encore scientifiquement précisés.Concepts novateurs autour de la conscience
Caycedo a énoncé des concepts originaux autour de la conscience, notamment la « conscience sophronique », un état de conscience équilibré, positif et porteur de valeurs ; ainsi que la « vivance phronique » qui désigne l’essence de la démarche sophrologique. Ces notions reposent sur une théorie organique et intégrative de la conscience, visant à dépasser les seules pathologies pour établir une discipline de développement humain.Perspective médicale et sociale
Caycedo a distingué dans la sophrologie une branche clinique réservée aux professionnels de santé, et une branche prophylactique et sociale relative au développement personnel et éducatif. Cela témoignait d’une ambition affinée de la sophomore dans le cadre de la santé publique, avec un ancrage scientifique reconnu sur le plan de la psychiatrie et de la psychologie.
En résumé, Alfonso Caycedo a pu fonder la perspective scientifique de la sophrologie en combinant une connaissance médicale solide, une méthodologie phénoménologique rigoureuse centrée sur la conscience vécue, et une synthèse novatrice de techniques alors émergentes ou reconnues, bien avant l’ère des neurosciences actuelles. Cette démarche visait à créer une nouvelle science de la conscience et du développement humain, à la fois rigoureuse et ouverte, enthousiasmante pour son temps et toujours inspirante aujourd’hui.