Le pervers narcissique intrigue par l’intensité de ses conflits intérieurs et la violence de ses relations. Derrière son besoin de contrôle et ses attaques répétées se cache une souffrance profonde, souvent projetée sur autrui. Cet article explore les ressorts psychiques de cette dynamique, jusqu’à introduire la notion impressionnante du « vomisseur » : un mode de fonctionnement où le chaos intérieur est expulsé et imposé à l’autre.

Le vomisseur

Le conflit un investissement identitaire

Ce qui rend le pervers narcissique si difficile à « atteindre » psychiquement, c’est que son identité même est investie dans ses conflits. Il ne considère pas le conflit comme un simple désaccord, mais comme une manière d’exister. Il s’identifie à ses affrontements, fait du combat une source de cohésion psychique, Il se définit par opposition, par affrontement, par défi. Il a besoin d’un ennemi pour se sentir exister. La tension, le conflit, l’injustice qu’il dénonce — parfois de manière très convaincante — sont autant de miroirs dans lesquels il reconstruit son égo vacillant. Renoncer au conflit équivaudrait à s’effondrer ou à faire face au vide intérieur qu’il redoute tant.

Il s’identifie à ses combats. Le conflit devient un besoin, une source d’énergie identitaire. Et même si cela génère la souffrance autour de lui, cela lui assure un sentiment de contrôle et d’existence. Il "est" ses tensions. Ce sont elles qui lui donnent une forme de cohésion psychique, illusoire mais vitale.

C’est pourquoi il ne peut pas lâcher prise : abandonner le combat reviendrait à faire l’expérience du vide intérieur, de la vulnérabilité qu’il fuit de toutes ses forces.

Même en absence d’enjeu objectif, il entretient la tension, la polémique, pour maintenir son sentiment d’existence et de contrôle. Cette dynamique peut engendrer des souffrances psychiques profondes dans l’entourage, les victimes étant prises dans une spirale de doute et de dévalorisation.

Au cœur du fonctionnement : la faille narcissique

Au centre de la personnalité du pervers narcissique réside une faille narcissique profonde, souvent issue d’un traumatisme dans l'enfance, d'un climat affectif carencé, d’humiliations ou de relations parentales dysfonctionnelles. Cette blessure, source de mal-être diffus et d’insécurité chronique profonde, agit de manière généralement inconsciente et demeure inaccessible à l’introspection. Toute situation réveillant ce sentiment de vulnérabilité, de vide ou d’indignité entraîne une angoisse insupportable, amenant le pervers narcissique à passer à l’action de façon quasi réflexe, pour tenter de colmater cette faille.

Ce vide, insupportable pour le sujet, appelle une réaction quasi automatique : l’agir.

L’agir (acting out)

Plutôt que d’analyser, de verbaliser ou de transformer son malaise intérieur, le pervers narcissique a recours à l’agir ou acting out. Ce mécanisme de défense consiste à extérioriser le conflit par des comportements impulsifs, hostiles, attaquants, parfois destructeurs envers autrui. Cela signifie qu’il va expulser sa tension intérieure par le comportement, souvent en attaquant, en humiliant, en accusant l’autre. L’agir permet une forme de soulagement immédiat, mais au prix d’une destruction relationnelle et d’une incapacité à se remettre en question. L’agir produit un soulagement immédiat mais temporaire, au détriment de ses proches, sans permettre une réelle prise de conscience.

Cet agir est semi-conscient : le pervers sent un malaise, mais il en ignore l’origine profonde. L’attaque ou la manipulation visent surtout à restaurer son sentiment de puissance et à éloigner le risque d’effondrement intérieur.

Comme l’écrit Jean-Charles Bouchoux dans Les pervers narcissiques :
« Il ne peut pas ne pas nuire : il souffrirait trop de sa propre vulnérabilité. Alors, il attaque. »

Le passage à l'acte

Le passage à l'acte est souvent réservé dans la clinique à des actions irréversibles, qui "font rupture" avec la scène relationnelle ou la parole. Par exemple : une fugue, une agression physique, une tentative de suicide. C’est l’acte qui « coupe » le lien avec l’autre ou avec soi.

Chez le pervers narcissique, "l’agir" s’apparente très souvent à un passage à l’acte : au lieu de verbaliser ou d’élaborer sa souffrance, il l’extériorise brutalement, par l’attaque, l’humiliation ou la manipulation.

le passage à l'acte est bien compris en clinique et en psychanalyse comme une forme de dépressurisation d'une tension psychique ou nerveuse. Lorsqu'une personne ne parvient pas à symboliser, verbaliser, mentaliser une souffrance ou un conflit intérieur, la tension s'accumule au point de devenir insupportable. Ce trop-plein peut alors se traduire par un acte concret, impulsif, souvent brutal, permettant de soulager sur le moment cette pression interne.

Il agit (par l’agression, la domination, l’humiliation) au lieu de penser ou d’exprimer ce qu’il ressent. Son comportement sert d’exutoire immédiat face à la tension interne.

Les éléments-clés

  • Décharge de tension psychique : Le passage à l’acte survient typiquement lorsqu’il y a une accumulation de tension nerveuse ou émotionnelle que le sujet n’arrive plus à contenir ou à traiter par la pensée ou la parole. L’acte vient faire "rupture" avec l’état antérieur et offre un soulagement immédiat, même s’il est souvent transgressif ou autodestructeur.

  • Acte physique ou verbal : Il n’est pas forcément question d’un geste physique spectaculaire. Une attaque verbale violente, un cri, une insulte peuvent tout à fait constituer un passage à l'acte s'ils remplissent cette fonction de "dérivation" de la tension accumulée et s'ils surviennent sur un mode impulsif, sans mise à distance réflexive.

  • Compensation d’une situation psychique : Cet agir vient compenser une impossibilité de symboliser ou de résoudre intérieurement un vécu traumatisant, une souffrance, un conflit. Le passage à l’acte permet alors « d’extérioriser » ce qui, à l’intérieur, est devenu insoutenable.

Le vomissement psychique : l’autre est une poubelle émotionnelle

Le pervers narcissique, dans son incapacité à assumer sa propre souffrance, ses peurs ou sa honte, transforme l’autre en poubelle émotionnelle. Il expulse ses tensions intérieures pour les faire porter à l’autre. Il « vomit » littéralement sur autrui tout ce qu’il refuse de reconnaître ou de ressentir en lui-même. Ainsi, l’autre devient le réceptacle forcé de ses angoisses, humiliations et chaos intérieur, absorbant la charge de ses tensions et de sa peur de l’insignifiance.

Ce processus, mécanique et compulsif, se manifeste par une projection agressive : le pervers narcissique expulse son mal-être, puis nie toute responsabilité. Comme le résume la psychologue Marie-France Hirigoyen :
« Le pervers narcissique est un vomisseur. Il expulse son chaos et rend malades les autres. »

Ce véritable vomissement psychique déverse haine, humiliation et ressentiment, laissant la victime épuisée, envahie par une culpabilité paralysante qui étouffe toute possibilité de révolte.

Après cette attaque, s’ensuit une rationalisation : le pervers manipule, inverse la culpabilité, discrédite ou culpabilise la victime pour verrouiller tout processus de remise en question.

Ce schéma s’accompagne souvent d’invalidation émotionnelle : les sentiments de la victime sont niés ou minimisés, renforçant l’isolement et la perte de repères. Prisonnière de cette dynamique, la victime n’a plus la possibilité de s’exprimer ni de se défendre, se vivant comme morcelée, vidée, dépossédée d’elle-même.

Conclusion

Le pervers narcissique n’est pas seulement une figure toxique : il incarne un mode de défense psychique rigide et auto-centré, fondé sur la fuite permanente du conflit intérieur. Sa structure de personnalité repose sur la projection, la négation de la réalité, et la construction d’une guerre identitaire où l’autre devient le réceptacle de son chaos intime. Enfermé dans cette dynamique fermée, il entretient un cycle de domination et de déresponsabilisation, usant de l’autre comme d’un support auquel il refuse d’être confronté en lui-même.

La véritable toxicité du pervers narcissique tient à sa capacité à dénier toute réalité émotionnelle, à transformer la relation en terrain d’expérimentation de ses propres tensions, tout en restant coupé de toute remise en question.

Comprendre ces mécanismes, c’est non seulement reprendre du pouvoir face à ce qui semble absurde, mais aussi redonner aux victimes la légitimité de leur propre lucidité :
« Je vois ce qui est, même si les autres ne le voient pas encore. »