LE DIALOGUE PERVERS

L'illusion du dialogue

Avec un pervers narcissique, le débat n’est jamais une recherche sincère de vérité : ce n’est qu'une mise en scène, un terrain de contrôle. En apparence, il se place dans un échange rationnel, mais ce n’est qu’un décor. Arrivé au bout d'une argumentation souvent biaisée, il déploiera alors des subterfuges, des contradictions flagrantes, des renversements logiques absurdes, et n’hésitera pas à nier l’évidence avec un aplomb déroutant.

Paul-Claude RacamierLe Génie des origines (1992) / Les figures du mal (1995)

Racamier est l’un des premiers psychanalystes à théoriser le pervers narcissique. Il montre que ce dernier utilise le langage non pas pour penser ou communiquer, mais pour imposer sa logique interne et détruire celle de l’autre.

« Le pervers narcissique n’agit pas pour convaincre, mais pour désorienter. Il attaque la pensée de l’autre, pas son contenu. »

Jean-Charles BouchouxLes pervers narcissiques (2009)

Il insiste sur le renversement des rôles, les mensonges flagrants et l’impossibilité de raisonner un pervers narcissique.

« Le langage chez le pervers narcissique n’est pas fait pour dialoguer, mais pour prendre l’ascendant. »

« Vous ne lui prouverez jamais rien, car ce n’est pas la vérité qui l’intéresse, mais la domination. »

Geneviève Schmit – Conférences et ouvrages spécialisés

Thérapeute spécialisée dans l’accompagnement des victimes, elle évoque souvent l’impossibilité du débat rationnel et la réaction destructrice du pervers face à une vérité menaçante.

« Il n’y a pas d’espace de dialogue avec un pervers narcissique : il y a une scène où il joue, et une proie à mettre en pièce s’il perd le contrôle. »

Marie-France HirigoyenLe harcèlement moral (1998)

Un texte fondateur sur la perversion dans la relation, notamment dans la communication. Elle décrit comment l’agresseur déplace constamment le centre du débat, nie, dissimule, et finit par invalider l’autre comme fou.

« Ce n’est plus un dialogue : c’est un piège. »

Jacques Lacan – Séminaire XVII L’envers de la psychanalyse (1969-70)

Lacan analyse le discours du maître et celui du pervers comme des structures où le savoir est manipulé au service du pouvoir, non de la vérité. Le pervers refoule la faille, il construit un système qui exclut tout ce qui pourrait le remettre en cause.

Dans une conversation ordinaire, deux personnes échangent des arguments dans l’intention d’éclairer un sujet, de progresser ensemble vers une forme de vérité ou de compréhension mutuelle. Ce qu’on appelle un dialogue.

Mais avec un pervers narcissique, ce principe ne tient plus - ce n'est plus que la parodie d'un dialogue. Le but n’est pas la vérité, ni la résolution d’un désaccord : l’enjeu réel est la domination. Derrière l’apparence d’un échange rationnel, se cache une mécanique invisible — celle d’un pouvoir à imposer, d’une emprise à renforcer, et d’un esprit à subjuguer. Ce n’est pas le sujet discuté qui importe, mais la nécessité impérieuse d’avoir raison, à tout prix… pour renforcer l’intégrité de son système psychique égotique.

Lorsque ses manipulations ne suffisent plus pour emporter le débat, il détruit l’espace de dialogue en dénigrant son interlocuteur, en le décrivant comme instable, fou ou agressif. Pourquoi ? Parce que la logique de l’autre met en péril la cohérence fragile de son monde intérieur. Ce n’est pas un désaccord d’idées : c’est une menace existentielle.

Attendre qu’il reconnaisse ses contradictions, c’est comme lui demander de se dissoudre. Il préférera nier jusqu’à l’absurde que d’affronter l’effondrement de son système psychique.

Un conducteur fou - SPEED

Le pervers narcissique ressemble à un conducteur lancé à pleine vitesse dans un véhicule qu’il ne peut jamais s'arrêter. Il écrasera ceux ceux qui se dressent sur sa route car il doit continuer à avancer, coûte que coûte.

Ce qui compte, ce n’est pas la destination, mais le maintien de sa course effrénée, l'expression de sa puissance - il comprend tout, l'autre ne comprend rien - pour maintenir sa cohérence interne qui soutient son équilibre psychique. Prendre un virage, ralentir reviendrait à douter, à remettre en cause l’intégralité de son système.

C’est là une définition essentielle de la perversion : sauver ses intérêts, quel qu’en soit le coût pour autrui. Le cap doit être maintenu, même au prix de la vérité, de la relation, ou de la souffrance infligée. Car pour lui, céder serait s’effondrer.

Jusqu'à l'absurde !

Lancé dans sa course si le pervers fait face à un obstacle objectif, clair, vérifiable — une preuve, une contradiction, une vérité — qui vient barrer sa route, deux options s’offrent à lui : le nier, le détruire, ou faire volte-face en prétendant qu’il a toujours soutenu cette position. Et il le fera dans un dédale de mots accusant l’autre de ne rien comprendre  et de vouloir le dénigrer ou d'être un fou.

Ce mécanisme n’est pas un simple mensonge stratégique : c’est un acte de survie psychique. En niant la réalité, le pervers met son esprit à l’abri de ses fragilités internes. Ce refus de reconnaître l’évidence est ce qu’on appelle le déni. Il ne s’agit pas d’ignorance ou d’erreur, mais d’un verrouillage affectif : reconnaître la réalité reviendrait à fissurer la cohérence mentale qui le protège de l’effondrement.