Spiritualité
vs
Immanescence
Le flou de la spiritualité
Le terme spiritualité occupe une place paradoxale dans notre vocabulaire : omniprésent, mais d’une indétermination profonde. Pour certains, il évoque la croyance en une réalité transcendante ou divine. Pour d’autres, il recouvre des pratiques de méditation, de développement personnel ou la quête d’une profondeur existentielle. La spiritualité est parfois associée à une esthétique du monde, à une sensibilité poétique, voire à l’expérience de l’intensité émotionnelle.
Cette indétermination nourrit des amalgames : elle entretient la confusion entre croyance, quête de sens, émotion esthétique et pratique ritualisée. Elle ouvre la porte aux simplifications, aux récupérations douteuses, et complique le travail de celles et ceux qui cherchent à penser l’intériorité en dehors des cadres religieux.
Les dimensions de l’immanescence
Ce processus mobilise trois pôles essentiels :
Noétique : clarté de la pensée, discernement, capacité à concevoir et projeter du sens.
Émotive : profondeur de l’affect, puissance du ressenti, naissance des élans intérieurs.
Corporelle : ancrage sensoriel, présence incarnée, dynamique biologique qui influence et féconde l’expérience.
L’immanescence est ainsi synergie vivante entre pensée, émotions et corps, jamais figée, toujours en mouvement.
Idéal, immanescence et interconnexion avec le collectif
Si l’immanescence met en avant la puissance du jaillissement intérieur, elle ne s’oppose pas à la dimension collective. Au contraire, l’élan intérieur se nourrit et se transforme :
L’individu trouve en lui l’origine de ses idéaux, de ses élans vers le beau, le juste, le vrai — mais ces idéaux sont eux-mêmes le produit d’un dialogue, souvent souterrain, avec la culture partagée, les valeurs transmises, les résonances vécues avec autrui.
Par cette “fusion” intime, l’immanescence fait que chacun se reconnaît porteur, à travers lui, d’une force, d’un mouvement, d’un sens qui le dépasse, et qui l’unit à la communauté des humains en quête de sens.
C’est cette résonance qui donne à la quête intérieure une densité, une fécondité, une puissance d’action transpersonnelle : en s’appropriant créativement les valeurs partagées, en les travaillant, l’individu participe au devenir d’un mouvement plus large — il se “reconnaît” dans le collectif, sans jamais se diluer.
Vers une pensée post-spirituelle
La notion d’immanescence ouvre une voie nouvelle : une pensée de l’intériorité comme laboratoire vivant, dynamique, affranchie de la pesanteur religieuse, mais fidèle au besoin humain d’approfondissement et de dépassement.
Elle invite à penser la création de sens, de valeurs et d’horizon comme une œuvre continue, où l’humain devient le géniteur de sa propre transcendance.
L’intériorité n’est plus alors un refuge mystique, mais un espace d’émergence, de croissance et de transformation, ouvert sur la réinvention collective.
Immanescence
et
Spiritualité laïque
Prolonger la pensée d'André Comte-Sponville
La réflexion d’André Comte-Sponville sur la spiritualité laïque a montré que l’expérience spirituelle n’exige aucune croyance religieuse. La spiritualité laïque, c’est la possibilité pour chacun de vivre une transcendance pleinement humaine, enracinée dans l’expérience ordinaire et la profondeur de l’existence.
L’immanescence prolonge cette approche : non seulement l’humain n’attend plus une transcendance venue d’ailleurs, mais il la fait émerger de soi-même, dans l’alliance de la pensée, des émotions, du corps et de ses résonances avec la culture commune. Là où Comte-Sponville insiste sur l’esprit ouvert et la possibilité d’un sacré sans dieu, l’immanescence insiste sur l’élan intérieur, la genèse vivante du sens, toujours renouvelée, nourrie par la communauté humaine.
Immanescence et modèle bio-psychosocial étendu
Le concept d’immanescence s’inscrit pleinement dans la dynamique du modèle bio-psychosocial — désormais enrichi, dans les sciences humaines contemporaines, d’une dimension culturelle et écologique. Ce modèle vise à comprendre l’humain comme le point de convergence vivant entre :
Facteurs biologiques : nos dispositifs innés, notre héritage génétique, nos rythmes corporels et leurs influences sur l’émotion et la cognition.
Facteurs psychologiques : notre expérience subjective, nos processus d’intériorisation, nos schémas cognitifs, notre créativité, notre résilience.
Facteurs sociaux et culturels : les normes, les valeurs, les récits collectifs, la transmission symbolique et la nature relationnelle de l’identité.
Facteurs écologiques (dans le sens large) : notre inscription dans des milieux, des environnements et des réseaux d’influences plus vastes que nous, qui participent à la configuration intime de notre expérience et de notre sensibilité.
L’immanescence devient alors le point nodal où ces dimensions convergent et s’activent :
Elle est nourrie par la physiologie du vivant (corps, affects), s’éprouve dans la profondeur subjective, se façonne à partir de la sève de la culture et trouve sa résonance et sa pleine expression dans l’interaction avec autrui et le monde.
L’élan intérieur que décrit l’immanescence n’est donc pas un pur soliloque du psychisme : il est la rencontre dynamique entre le biologique (l’énergie vitale, l’émotion), le psychologique (l’élaboration du sens), le social (le tissage des valeurs collectives) — et le tout ancré dans un écosystème vivant, porteur et stimulant.
Situer l’immanescence dans ce cadre permet de la comprendre :
comme une expérience qui mobilise et articule l’ensemble des déterminants humains,
mais aussi comme une capacité à produire du sens inédit et à se dépasser, à la fois en s’enracinant dans la vie et en la transcendant par l’acte même de la subjectivation et de la création.
L’immanescence se révèle alors être un trait d’union vivant entre tous les étages du modèle bio-psychosocial étendu — moteur, interface et point d’émergence du sens, dans toute la complexité de nos devenirs.


La critique philosophique
Plusieurs philosophes ont questionné la spiritualité, souvent en la désacralisant :
Spinoza : la béatitude, fondée sur la connaissance rationnelle et l’amour intellectuel de la nature.
Kant : distinction entre religion révélée et religion morale, issue de la raison pratique.
Nietzsche : critique de la transcendance au bénéfice de la vie inférieure, créatrice de valeurs.
Sartre et Merleau-Ponty : mise en avant de l’existence incarnée, où le sens et l’élévation se produisent dans et par l’intériorité humaine elle-même.
La philosophie rappelle ainsi que l’homme n’a pas besoin de surnaturel pour éprouver une forme de transcendance : celle-ci se construit dans le geste même de la pensée, de l’émotion, de l’engagement et de la création.
La nécessité d’un nouveau vocabulaire
Aujourd’hui, pour nombre d’esprits rationnels et laïques, le terme « spiritualité » reste trop chargé de références religieuses et d’imaginaires mystiques. Il brouille les pistes pour celles ou ceux qui veulent explorer leur intériorité hors de toute référence divine ou sacrée.
Il devient alors nécessaire d’inventer un mot neuf, porteur d’une expérience intérieure laïque, claire et audacieuse : c’est ici que prend place la notion d’immanescence.


Qu’est-ce que l’Immanescence ?
Immanescence (du latin immanere, « demeurer en », et du suffixe -escence, « action, processus en cours ») désigne l’état et la dynamique de ce qui naît, s’élève et s’accomplit depuis l’intérieur du sujet.
Il s’agit d’un élan créateur, d’un mouvement par lequel la pensée, l’émotion, la sensibilité corporelle tissent ensemble du sens, des valeurs, des horizons : une force qui irrigue l’intériorité et en fait à la fois une source et un espace de dépassement.
L’immanescence affirme :
« La transcendance humaine émerge de ce que nous faisons fructifier dans les profondeurs mêmes de notre expérience intérieure. »
Loin de réduire l’humain à lui-même, elle fait de cette intériorité une matrice vivante, ouverte à la création de sens, à l’invention de l’idéal.






