
Le pervers n’est pas une présence inerte
Dans la phase initiale de la relation, souvent marquée par un processus de séduction, le pervers cherche à désorganiser les repères internes de sa cible pour installer une dynamique d’emprise.
Par des postures audacieuses, parfois transgressives, il induit chez elle une perturbation de son univers perceptif qui fragilise sa stabilité interne. L’entité perverse, avec tout ce qu’elle véhicule, devient une masse psychique active dont le rayonnement neutralise et ébranle progressivement l’esprit critique de sa victime.
En distordant le champ intersubjectif, le pervers vient déséquilibrer la relation interpersonnelle à son avantage. Dans la relation, il s’installe comme un foyer central d'interpellation intellectuelle, de projection, d’identification, voire de soumission inconsciente.
Dès lors, le pervers devient un pôle d’attractivité majeur, neutralisant l’autonomie psychique de sa cible. Il ne se contente plus d’exercer une influence : il s’impose comme une perspective dominante, un nouvel axe de gravité mentale dans lequel la pensée de la victime va progressivement se faire aspirer et lui appartenir.
Le Trou Noir
L’intersubjectivité désigne l’espace mental partagé entre deux consciences où les univers mentaux de deux personnes (les pensées, les émotions, les attentes et les représentations de chacun) dialoguent et se transforment à travers leurs interactions.
Terme utilisé en psychanalyse relationnelle et en phénoménologie.


Le noyau d'attraction
La perversion narcissique repose sur un paradigme de vie fondamentalement nihiliste, animé par un vide intérieur que le sujet tente de justifier en le projetant sur le monde extérieur. Pour renforcer l'illusion d'une cohésion psychique, le pervers narcissique cherche à étendre ce vide au reste du monde, à coloniser les esprits qui l'entourent. Son projet profond n’est pas simplement relationnel : il est ontologique et idéologique. Il vise à déformer la perception de la réalité chez autrui, à façonner leur vision du monde selon son propre regard corrompu.
Ainsi, dans un mécanisme d’assujettissement progressif, il attire ses victimes vers son centre, les rendant prisonnières d’une réalité altérée. Ceux qui résistent à cette captation identitaire deviennent des menaces à éliminer, soit psychiquement par l’humiliation et le doute, soit symboliquement par l’effacement pur et simple de leur subjectivité.
Nihilisme
Le nihilisme est une position philosophique ou existentielle selon laquelle la vie est dénuée de sens, de valeur ou de vérité absolue. Celui qui adopte une vision nihiliste considère souvent que les repères moraux, spirituels ou culturels sont arbitraires, dépassés ou illusoires. Dans sa forme extrême, le nihilisme nie l’importance de toute éthique, de toute transcendance et même de l’existence d’une vérité objective.
Dans le contexte de la perversion narcissique, le nihilisme devient un terreau psychique de désintégration, où tout ce qui est humain — la morale, la sensibilité, la compassion — est tourné en dérision, corrompu ou instrumentalisé.
Ontologie
L’ontologie est une branche de la philosophie qui étudie l’être — c’est-à-dire ce qui « est », ce qui existe en soi, indépendamment des apparences. Elle interroge les fondements de la réalité, les structures essentielles de l’existence et du réel.
Dans une approche psychologique ou existentielle, l’ontologie touche à la nature profonde de l’être humain, à ce qui fonde son identité, sa dignité, sa capacité à ressentir, penser, exister.
Un discours ou une vision du monde qui détruit ou nie cette dimension ontologique de l’humain participe à une déshumanisation radicale — ce que l’on retrouve dans certains systèmes de pensée pervertis.
Deux fonctions concomitantes
Soleil Noir & Trou Noir
De part le vide existentiel du pervers - la psyché d'autruit est un territoire a conquérir. A cet effet deux processus opèrent de concert.
Le processus du Soleil Noir a pour objectif de dévitaliser les forces de ses victimes... de dynamiter en silence ses fondements.
Le processus du Trou Noir intervient pour coloniser l'espace psychique fragilisé et le ramener à lui.
L’adhésion au centre de gravité
Le pervers narcissique ne se contente pas d’imposer son emprise dans la sphère intime ou relationnelle. Son fonctionnement s'étend souvent à un cercle plus large — un aéropage, c’est-à-dire un groupe d’individus conquis, séduits ou anesthésiés par son discours, son autorité ou son apparente maîtrise. Cette dynamique est insidieuse : elle repose sur une déformation progressive des repères psychiques de son entourage.
Le pervers cherche à constituer autour de lui un entourage fidèle qui valide ses croyances, ses visions et ses récits. Ce groupe peut être familial, professionnel, militant ou idéologique. À travers ce noyau, il légitime sa vision du monde, contrôle la narration des événements, et isole ses contradicteurs.
Ce mécanisme est souvent invisible au premier abord, car il se fonde sur le doute, la confusion, la peur de l’exclusion ou la séduction. Peu à peu, les membres de cet aéropage cessent de penser par eux-mêmes. Ils adoptent les opinions du pervers, défendent ses excès, rejettent ceux qui s’y opposent. La pensée individuelle se dilue au profit d’un consensus illusoire qui gravite autour du "soleil noir" qu’est le narcissique pathologique.
"L'espace autour du pervers se déforme comme sous l’effet d’une masse trop dense. La gravité psychique attire, et finit par absorber la personnalité des autres."
Captation identitaire et déformation du réel
La dynamique du pervers fonctionne comme un trou noir psychique. Plus on s’approche, plus il devient difficile d’en sortir. La réalité, les valeurs, les émotions, les représentations sont modifiées par capillarité relationnelle. Suite à l'effacement progressif de la subjectivité personnelle - la résultante du Soleil Noir - le pervers colonise l’espace mental, formate les esprits, et contraint l’autre à penser selon ses termes. C'est le glissement dans l'abime du Trou Noir. Ce n’est plus seulement de la manipulation : c’est un lavage de cerveau émotionnel et idéologique. Les victimes en viennent parfois à défendre leur agresseur, à douter d’elles-mêmes ou à relayer, à leur insu, les valeurs pathogènes qu’il incarne.
Ce phénomène concerne tous les publics, mais certains sont particulièrement vulnérables.
Les enfants : territoires psychiques malléables
Les enfants, en tant qu’êtres en construction, représentent un terrain particulièrement exposé à ce type d’influence. Leur pensée critique n’est pas encore formée, leur besoin d’appartenance est fondamental, et leur identité encore malléable.
En présence d’un parent ou d’un éducateur pervers narcissique, l’enfant ne comprend pas qu’il subit une influence toxique. Il cherche l’amour, la reconnaissance, la sécurité. Et il est prêt, sans en avoir conscience, à renoncer à son propre ressenti pour se conformer à la logique de l’adulte.
Ce n’est pas qu’il soit pervers, mais il peut devenir perverti : ses repères affectifs et moraux sont biaisés. Il apprend à se méfier, à manipuler, à ne pas exprimer ses émotions. Ce conditionnement peut laisser des traces durables, à moins qu’un contre-modèle éducatif et affectif ne vienne rectifier ce déséquilibre.
Steven Hassan, expert des dérives autoritaires
" De nombreux adeptes présentent les caractéristiques d'un culte autoritaire destructeur... le comportement, l'information, la pensée et le contrôle émotionnel... ont transformé les adeptes en dévots obéissants.
Cette captation repose sur un modèle proche de la dynamque brainwashing étudiée par Robert J. Lifton : isolement, contrôle de l’information, répétitions de messages simplifiés, émotions intensifiées.
Citations éclairantes
Steven Hassan parle explicitement de transformation des disciples en adeptes obéissants, à travers un contrôle complet du comportement, de l’information et des émotions
Benjamin Zablocki, sociologue des mouvements sectaires, souligne que le brainwashing est une stratégie utilisée de fait, malgré des critiques sociologiques.
Xanya Sofra explique :
« You don’t Change the Abuser, the Abuser Changes You » — un processus de changement intérieur imposé sans consentement réel.

Sortir de la spirale destructrice
Récupération de la lumière intérieure
Conclusion
Le pervers narcissique peut être pensé comme une conjonction de deux phénomènes destructeurs « soleil noir » et le "trou noir" : Des forces obscures qui éclipsent, absorbent, détruisent. Son paradigme est celui du néant, de la déshumanisation de la relation, de la contamination de l’esprit de l’autre.
Mais ce soleil n’est pas invincible. Une fois nommé, compris, dépassé, il peut redevenir ce qu’il est fondamentalement : une absence de lumière, à laquelle on peut opposer, en soi, une clarté reconstruite. La résilience consiste alors à affirmer, contre la négation, un paradigme vivant : celui de la pensée libre, de l’altérité fertile et de l’émergence d’un nouveau soi.
La reconstruction psychique nécessite d’abord une prise de conscience des mécanismes subis. Il faut nommer, identifier, comprendre le paradigme dans lequel on a été entraîné. Cette étape est douloureuse car elle exige de voir la relation pour ce qu’elle est : un lien de destruction.
La restauration de la lumière intérieure passe ensuite par une reconnexion à soi : ses valeurs, ses désirs, ses pensées propres. C’est un travail de réécriture de soi, de réhabitation du corps et de l’imaginaire. Le paradigme de vie doit être reconstruit, non plus sur la peur, mais sur la vérité intime de l’être.
Enfin, il s’agit de sortir de l’orbite du soleil noir et du trou noir, de quitter le champ gravitationnel du pervers pour redécouvrir la pensée libre, la joie possible, la parole créatrice. C’est un travail d’émancipation profonde, mais nécessaire pour réhabiliter une vie psychique fertile.